Vassia - le roi (22)

Publié le 24 Septembre 2010

Je ne sais plus comment c'est venu, ni quand exactement; mais un matin, j'ai enfilé un t-shirt, un short et des baskets et je suis sorti sur le chemin qui longe le jardin par derrière, celui qui contourne le village et s'enfonce dans les bois. Au début, j'ai marché un peu mais j'avais pas chaud, le soleil venait à peine de se lever et l'herbe était trempée. Alors j'ai accéléré le pas et comme j'étais pas très à l'aise avec la marche rapide, je me suis mis à courir. J'ai couru comme ça sur tout le chemin, à petites foulées. J'avais pas l'habitude et j'ai eu du mal à trouver mon rythme. Au début, je me disais: « encore un peu et tu t'arrêtes » mais finalement, j'ai réussi à tenir jusqu'au bout et j'ai fait tout le tour du village, j'ai traversé le bois et je suis revenu sur mes pas. Je sentais que l'air était toujours aussi frais mais j'avais chaud maintenant que je courais, et chaque respiration me brulait les poumons. Pourtant, je travaillais presque tout le temps dehors, à inhaler l'air pur. Et puis, j'avais jamais fumé de ma vie, jamais régulièrement au moins, j'avais seulement tiré de temps en temps une bouffée sur la cigarette des autres. Mais je payais sans doute les longues années où je n'avais pas vraiment sollicité mon corps, où je l'avais laissé somnoler. Le réveil serait sans doute un peu long.

 

En rentrant, j'ai pris une douche et j'ai regardé les annonces immobilières sur mon ordinateur, pour me faire une idée du prix des loyers. Je suis allé refaire un tour dans l'autre partie de la maison, celle qui attendait d'être habitée et qui était vraiment chouette maintenant qu'elle était toute refaite. J'avais effacé ici plus de traces du passé que du côté que j'occupais. Je n'avais gardé que le plancher à l'étage, qu'on avait traité et ciré, et la grande cheminée en pierre dans la pièce du bas. Chez moi, j'avais gardé tous les sols, le plancher, les vieux carrelages et la dalle brute, parce que plus que n'importe quoi d'autre, j'avais l'impression que c'était eux qui gardaient l'esprit de la maison. J'ai fait le tour des pièces, et j'ai essayé de me faire une idée du prix que je pourrais la louer. Ce serait assez cher sans doute, il y avait trois chambres et le jardin devant. Mais pas trop cher non plus, j'étais pas devenu un cador. Il fallait que je trouve des gens simples, sympas, qui auraient choisi la campagne pour mettre les enfants au vert; pas des merdeux qui auraient préféré une maison neuve, de construction traditionnelle, avec double garage.

 

J'ai ouvert les volets partout et je me suis dit qu'il faudrait que je prenne des photos pour mettre dans l'annonce. Surtout par un beau soleil comme ça. Et je suis allé chercher l'appareil photo chez moi. C'était un appareil comme on en faisait avant, il était vieux, ma mère me l'avait offert quand j'étais ado. J'aurais pu en changer depuis, m'acheter un bel appareil numérique avec un zoom; mais pour prendre quoi? En le sortant de sa housse, j'ai vu que la pellicule était entamée. Il y avait dans cet appareil trois photos dont je ne me souvenais pas, trois traces peut-être effacées d'une vie lointaine. Ça devait faire vraiment longtemps, ça datait forcément d'avant la maladie de ma mère, bien avant même, du temps où elle savait encore qu'elle avait vécue ici, ici et nulle part ailleurs.

 

J'ai pris une photo de la façade avec un bout du jardin, puis des photos dans chaque pièce et j'ai pris la dernière depuis la fenêtre d'une des chambres du haut qui donne sur l'arrière, les bois vallonnés près du chemin, et les volcans au loin. J'ai rembobiné la pellicule et je l'ai mise dans ma poche. Il faudrait que je l'emmène rapidement chez un photographe, j'étais pas sûr d'en trouver beaucoup qui me la développeraient, et puis ça allait pas me simplifier la vie tout ça: il faudrait scanner chaque photo, sans compter les trois premières qui seraient la surprise du chef et qui risquaient de remuer des trucs, tous ces trucs que je tentais d'étouffer matin, midi et soir, et même au coucher, au milieu des repas ou avec un peu d'eau.

 

 


Rédigé par Marie Alster

Publié dans #Vassia - le roi

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C
<br /> <br /> Qu'est ce que je peux ajouter après Madame Alfred ? Ben, rien, elle a tout résumé en 4 mots : un coup de maître ! Et maintenant, on attend patiemment la suite, non sans se poser des questions et<br /> supputer sur la découverte des photos... Merci pour ce nouveau chapitre, bises et à bientôt...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Les photos inconnus, les souvenirs oubliés : un coup de maître .<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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