Vassia - le roi (51 et 52)

Publié le 14 Mars 2011

Voilà. Sarah était partie. J'en avais pour quinze jours à devoir supporter qu'elle ne soit pas là. Les mardis, je verrais le russe qui avait échangé son poste avec elle, ç’aurait été sympa sans doute de lui servir de guide, mais c’est pas moi qui ferait ça, j'avais déjà prévu de pas m'éterniser au bureau ces jours là.

 

Il était convenu qu'on s'appelle tous les soirs, j'étais terrifié de la savoir si loin, entourée d'ours bruns et d'hommes nouveaux qu'elle ne connaissait pas. Évidemment ça la faisait rire, c'était au moins ça. J'avais posé quelques jours à son retour, et elle aussi, et on avait prévu de se rattraper, de plus se lâcher ni le jour ni la nuit.

 

En fin de semaine, j'avais trouvé une voiture à acheter, une jolie voiture cubique et modulable, avec des touches sur le volant pour brancher la musique. Elle avait un toit ouvrant aussi, je crois que c'est ça qui m'avait décidé: l'été, on pourrait aller se promener cheveux au vent, et les soirs d'hiver, on pourrait regarder les étoiles dans le ciel. Sarah avait pas pu venir la voir, elle devait préparer ses valises. C’était pas rien de partir là-bas, il lui fallait pas mal d’affaires, des choses prévues pour le grand froid, doublées, avec des matières spéciales et du duvet.

 

Quand la voiture a été prête, j'ai appelé le gars pour le corbillard et il est venu un soir. Quand il est parti, je l'ai regardé rouler sur le chemin, le gars allait lentement, il se faisait la main. C'était une page qui se tournait, c'est comme ça que je le prenais; fini les projets de travaux et les véhicules pour les morts. Ma voiture carrée m'attendait devant la maison. Demain je la prendrai pour aller au travail, et le week-end, j'irai faire un tour au milieu des Puys.

 

Sarah était déjà plus là depuis quatre jours et j'avais à peu près survécu. Quand elle a appelé ce soir là, je lui ai annoncé que le corbillard était parti et que j'avais ma nouvelle voiture. Quand elle serait rentrée, je l'emmènerai dans les montagnes, à moins qu'elle préfère aller voir la mer, d'ici on en était pas si loin, on y serait en trois heures. Elle a dit: « tu m'emmèneras où tu voudras ».

 

- 52 -

 

En montant dans ma voiture le samedi en milieu d'après-midi, j'avais le ventre lourd, une sensation d'angoisse que je n'avais pas eue depuis longtemps. La voilà qui revenait, ça devait être l'absence de Sarah, le long week-end à passer seul sans autre but que ceux que j'arriverais à me donner; j'étais pas très doué pour ça mais je ferai un effort. Sarah avait le droit de vivre des choses sans moi; cette expérience à l'étranger, c'était vraiment une chance pour elle, la possibilité d'étudier des espèces qu'elle ne voyait pas chez nous. Ce n'était qu'un premier voyage d'ailleurs, une prise de contact. Elle devrait y retourner au début de l'été, pour étudier les grues et les oies qui nichaient dans les tourbières. Au fond, je la trouvais très courageuse de partir seule si loin, et rien que pour ça je devais faire face. Je devais lui montrer toutes les choses bien que j'étais capable de faire sans elle. Arriver à chasser l'angoisse en faisait partie, sans augmenter mes doses, sans prendre un verre de vin.

 

Au moment où je mettais le contact, le gamin a toqué à la portière passager et a grimpé à côté de moi. Il a dit: « elle est drôlement belle ta voiture! Ils vont l'aimer tes enfants. Tu m'emmènes avec toi? » Qu'est-ce que j'aurais pu dire? C'est sûr qu'en y repensant plus tard, je me suis dit que j'aurais du descendre de la voiture et aller sonner chez lui pour dire à ses parents que je le prenais avec moi. Mais je n'y ai pas pensé, j'ai même pas regardé si leur voiture était là. J'ai dit: « allez, en route! » et j'ai démarré.

 

On a fait tout un tour au milieu des volcans. Il faisait gris et sombre et les plus hauts sommets se perdaient dans la brume. Il gelait à pierre fendre aussi, les forêts qui tapissaient les puys étaient mouchetées de blanc comme si une main géante les avait arrosées de neige en bombe. Les ruisseaux qui descendaient des montagnes étaient pris dans une épaisse couche de glace, blanche sur les bords, puis transparente, et tout était comme ça, prisonnier du givre. On a roulé un bon moment, le gamin était silencieux à côté de moi et regardait par la fenêtre. J'avais mis ma compil, mes morceaux électro d'abord, et après j'ai mis Bruxelles. Pendant la chanson, j'entendais comme un souffle, j'ai regardé vers le gamin: il chantait la chanson tout bas, ses petites lèvres formant les paroles unes à unes.

 

A la fin de la chanson, il a dit: « et si tu m'emmenais voir les lumières de Noël? J'adore les lumières de Noël. »; ça nous faisait faire un détour, passer par le centre ville, mais qu'est ce que j'avais de mieux à faire? On a pris la nationale, la nuit tombait lentement, les lumières seraient allumées quand on arriverait en ville. Le gamin a allongé son siège au maximum et il est resté comme ça à regarder le ciel défiler par le toit de la voiture.

 

Je lui ai fait faire le tour du centre ville, il avait redressé son siège. On a pas posé la voiture, je me suis pas garé pour qu'on marche un peu jusqu'aux vieux quartiers. Je me disais qu'on devait pas rentrer trop tard et le gamin était hilare. Il me montrait des trucs du doigt, le sapin géant au milieu de la place, et le manège juste à côté, les baraques du marché de Nöel et les guirlandes qui se rejoignaient de part et d'autre des rues. Quand on a repris la route de la maison, j'allais beaucoup mieux, mon angoisse s'était envolée avec l'arrivée de la nuit.

 

Il y avait des contrôles au niveau du grand rond-point, on m'a fait signe de m'arrêter. J'ai baissé ma vitre et le gendarme m'a salué en touchant son képi. Le gamin a rigolé à côté de moi, je me suis dit que c'était mal barré. Ce gosse aurait pas dû être assis à l'avant, j'avais merdé, je m'étais même pas posé la question. Le flic allait me coller une amende rien que pour ça, et je l'aurais bien cherché. Et puis j'avais pas tous les papiers pour la voiture, seulement des trucs provisoires que m'avait donnés le garage. Tout devait être réglo mais ça me stressait quand même. Je cherchais les papiers dans la boîte à gants mais le gamin tenait ses jambes bien droites devant lui, vu qu'elles touchaient pas par terre. Je lui ai dit de les enlever, il voyait bien qu'il me gênait. J'ai tendu les papiers au gendarme, il me les a pris des mains, il s'est penché pour regarder dans la voiture et il a dit: « tout va bien monsieur? » J'ai répondu « oui, tout va très bien. » Alors il a jeté un oeil à son collègue derrière lui et il a dit: « vous allez passer un alcootest, contrôle de routine » J'ai pas discuté, je savais bien que j'avais rien bu depuis des jours, je risquais rien. Et puis qu'est-ce qu'il croyait? Que je me bourrais la gueule avant d'emmener un gamin en balade dans ma voiture? Le laisser s'assoir à l'avant, c'était une bourde d'accord, mais le prendre avec moi avec un gramme dans le sang, c'était quand même autre chose. J'ai soufflé, le truc est resté blanc comme neige et il m'a laissé partir. Pendant tout le temps le gamin avait pouffé, les mains collées contre sa bouche en croyant se faire discret. Bien sûr, c'était pire que tout et le gendarme avait du voir qu'il se fichait de lui. Je l'ai posé devant la maison, je voulais aller me garer dans la grange. Avant qu'il ouvre sa portière, je lui ai dit: « je vais me garer derrière, tu me sautes pas dessus comme la dernière fois! » Il a dit: « non non, je rentre. On a fait une chouette balade. » et il s'est penché vers moi pour déposer un bisou sur ma joue. Le bisou a fait un bruit qui claque et il est parti.

 

 


Rédigé par Marie Alster

Publié dans #Vassia - le roi

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C
<br /> <br /> Je me demande avec grande curiosité ce que seront les prochains chapitres, l'intrigue se resserre autour de cet enfant ange-gardien... Comment Vassia se rendra-t-il compte ? J'aime bien quand le<br /> lecteur n'a pas de piste pour découvrir le pot-aux-roses ; tu y réussis parfaitement, c'est excellent ! Bon dimanche, ma chère, bises et à bientôt...<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Mais quand donc va t-il comprendre, pour le gamin ? Suspense.<br /> <br /> <br /> <br />
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