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Le jeu de Madame Alfred 15 ou "La nuit du ventre et de l'esprit"
Publié le 31 Août 2009
Ou encore "Les aventures du Grand Oracle au chevet du monde, épisode 15"
Le Grand Oracle avait trois amis fidèles, trois compagnons qui comme lui, usaient de leurs pouvoirs pour porter secours au monde.
Il y avait d'abord le Rougier qu'on avait surnommé ainsi à cause de la peau rouge et sèche de ses mains. Lorsqu'il réfléchissait, il se grattait le dessus des mains du bout des ongles en semant autour de lui des pellicules blanchâtres qui tombaient lentement comme des particules de poussière. Le Rougier avait un oeil crevé et guère plus de cheveux sur le crâne qu'il n'avait de dents dans la bouche. Mais c'était un homme vigoureux et fier, un excellent guérisseur et un sourcier hors paire.
Les deux autres étaient les frères Solovetski, deux jumeaux affables et discrets, télépathes, éminents spécialistes des forces de l'esprit. Très petits, ils avaient pourtant le visage allongé des gens de grande taille, un nez anguleux et des yeux pâles.
Les quatre hommes se retrouvaient parfois pour l'anniversaire de l'un ou de l'autre, parfois aussi pour un réveillon, mais le rendez-vous qu'aucun d'eux n'aurait manqué et que chacun attendait comme on attend la nuit de Noël était leur réunion de la Saint Brice.
Car à la Saint Brice, le Grand Oracle invitait ses amis pour ce qu'il appelait "La nuit du ventre et de l'esprit", une longue soirée où chacun devait relever le défi que les autres lui lançaient, le tout sur fond de bonnes victuailles et de vins spiritueux.
En tout début de soirée, chacun inscrivait son défi sur une petite feuille de papier ; puis, les feuilles étaient pliées en quatre et mises dans une boîte que l'on fermait d'un cadenas rond et rouge. Ensuite, lorsque tout le monde était repu et un peu ivre, le Grand Oracle apportait la boîte sur la table comme d'autres apportent des chocolats ou des cerises à l'eau de vie, et chacun tirait un papier au hasard. Toute la nuit, les quatre compères usaient d'astuces et de formules pour panser les blessures de la Terre et lorsqu'ils s'arrêtaient au lever du jour, on estimait alors qui de tous étaient le meilleur, juste avant de sombrer dans le sommeil.
Le Grand Oracle remportait souvent le titre, si souvent même, que le Rougier repartait parfois en criant qu'on ne l'y reprendrait plus et que ce satané Grand Oracle était le plus fieffé coquin que le monde ait connu.
Il arrivait aussi que la soirée tourne au pugilat. Il suffisait que "La nuit du ventre et de l'esprit" ait été un peu plus arrosée que de coutume et on voyait bientôt les frères Solovetski tirer les cheveux du Rougier et le Rougier tirer la barbe du Grand Oracle en la coinçant sous ses bottes.
Et puis il arriva aussi que le Grand Oracle déclare forfait. Lui, le plus habile sorcier, magicien vénéré dans le monde tout entier et peut-être même au-delà, avait une fois dû admettre qu'il ne pourrait relever le défi qui lui était lancé. Il avait lu et relu la petite feuille, l'avait repliée puis re dépliée en espérant qu'il n'y relirait pas la seconde fois ce qu'il y avait lu la première, avait posé son bonnet, s'était gratté la tête, avait médité quelques minutes pour faire le vide dans son esprit, s'était versé un autre verre, grignoté un biscuit, en vain. Il avait finalement admis qu'il ne garderait pas son titre cette fois-là et qu'il souhaitait aux autres plus d'inspiration qu'il n'en avait lui-même. Durant toute la soirée, il avait gardé son papier plié dans sa main et l'avait relu plusieurs fois au cours de la nuit. Cette fois-là ce fut au tour du Rougier de gagner tous les honneurs. Et parce qu'il remportait le titre pour la première fois, il tomba dans les bras du Grand Oracle et pleura sur son épaule, secoué de sanglots et de hoquets.
Depuis ce soir là, le Grand Oracle a conservé le papier dans le tiroir de sa table de chevet. Les nuits d'insomnie, il le ressort, le déplie soigneusement pour ne pas le déchirer, et relie le défi qui y fut inscrit d'une belle écriture ronde: "A la page 3, j'ai rencontré une araignée, je l'ai croquée"...
Le Grand Oracle avait trois amis fidèles, trois compagnons qui comme lui, usaient de leurs pouvoirs pour porter secours au monde.
Il y avait d'abord le Rougier qu'on avait surnommé ainsi à cause de la peau rouge et sèche de ses mains. Lorsqu'il réfléchissait, il se grattait le dessus des mains du bout des ongles en semant autour de lui des pellicules blanchâtres qui tombaient lentement comme des particules de poussière. Le Rougier avait un oeil crevé et guère plus de cheveux sur le crâne qu'il n'avait de dents dans la bouche. Mais c'était un homme vigoureux et fier, un excellent guérisseur et un sourcier hors paire.
Les deux autres étaient les frères Solovetski, deux jumeaux affables et discrets, télépathes, éminents spécialistes des forces de l'esprit. Très petits, ils avaient pourtant le visage allongé des gens de grande taille, un nez anguleux et des yeux pâles.
Les quatre hommes se retrouvaient parfois pour l'anniversaire de l'un ou de l'autre, parfois aussi pour un réveillon, mais le rendez-vous qu'aucun d'eux n'aurait manqué et que chacun attendait comme on attend la nuit de Noël était leur réunion de la Saint Brice.
Car à la Saint Brice, le Grand Oracle invitait ses amis pour ce qu'il appelait "La nuit du ventre et de l'esprit", une longue soirée où chacun devait relever le défi que les autres lui lançaient, le tout sur fond de bonnes victuailles et de vins spiritueux.
En tout début de soirée, chacun inscrivait son défi sur une petite feuille de papier ; puis, les feuilles étaient pliées en quatre et mises dans une boîte que l'on fermait d'un cadenas rond et rouge. Ensuite, lorsque tout le monde était repu et un peu ivre, le Grand Oracle apportait la boîte sur la table comme d'autres apportent des chocolats ou des cerises à l'eau de vie, et chacun tirait un papier au hasard. Toute la nuit, les quatre compères usaient d'astuces et de formules pour panser les blessures de la Terre et lorsqu'ils s'arrêtaient au lever du jour, on estimait alors qui de tous étaient le meilleur, juste avant de sombrer dans le sommeil.
Le Grand Oracle remportait souvent le titre, si souvent même, que le Rougier repartait parfois en criant qu'on ne l'y reprendrait plus et que ce satané Grand Oracle était le plus fieffé coquin que le monde ait connu.
Il arrivait aussi que la soirée tourne au pugilat. Il suffisait que "La nuit du ventre et de l'esprit" ait été un peu plus arrosée que de coutume et on voyait bientôt les frères Solovetski tirer les cheveux du Rougier et le Rougier tirer la barbe du Grand Oracle en la coinçant sous ses bottes.
Et puis il arriva aussi que le Grand Oracle déclare forfait. Lui, le plus habile sorcier, magicien vénéré dans le monde tout entier et peut-être même au-delà, avait une fois dû admettre qu'il ne pourrait relever le défi qui lui était lancé. Il avait lu et relu la petite feuille, l'avait repliée puis re dépliée en espérant qu'il n'y relirait pas la seconde fois ce qu'il y avait lu la première, avait posé son bonnet, s'était gratté la tête, avait médité quelques minutes pour faire le vide dans son esprit, s'était versé un autre verre, grignoté un biscuit, en vain. Il avait finalement admis qu'il ne garderait pas son titre cette fois-là et qu'il souhaitait aux autres plus d'inspiration qu'il n'en avait lui-même. Durant toute la soirée, il avait gardé son papier plié dans sa main et l'avait relu plusieurs fois au cours de la nuit. Cette fois-là ce fut au tour du Rougier de gagner tous les honneurs. Et parce qu'il remportait le titre pour la première fois, il tomba dans les bras du Grand Oracle et pleura sur son épaule, secoué de sanglots et de hoquets.
Depuis ce soir là, le Grand Oracle a conservé le papier dans le tiroir de sa table de chevet. Les nuits d'insomnie, il le ressort, le déplie soigneusement pour ne pas le déchirer, et relie le défi qui y fut inscrit d'une belle écriture ronde: "A la page 3, j'ai rencontré une araignée, je l'ai croquée"...
Les contraintes du jour:
Le Rougier
Un cadenas rond et rouge
' A la page 3, j'ai rencontré une araignée, je l'ai croquée.'