Baby blues

Publié le 6 Avril 2008



Elle avait d'abord essayé de calquer sa respiration sur celle de sa fille. Mais alors que la toute petite poitrine se soulevait régulièrement dans le berceau, il lui semblait qu'un poids appuyait sur la sienne et bloquait son souffle.
Dehors, le vent se frayait entre les bâtiments de l'hôpital un chemin jusqu'à sa fenêtre et à chaque rafale, le vieux store de bois venait cogner la vitre. Est-ce que les autres femmes arrivaient à trouver le sommeil? A entendre le silence qui provenait des chambres voisines, on aurait pu croire que la tempête n'était là que pour elle...
Se disant qu'une position confortable l'aiderait à s'endormir, elle releva la tête du lit, testa cette nouvelle posture puis finalement rappuya sur la petite touche pour remettre le lit à plat. Elle remit sous sa tête le coussin qu'elle avait enlevé quelques minutes plus tôt, se tourna sur le côté en repliant les jambes puis se remit sur le dos. Elle posa une main sur son ventre, tenta en vain de trouver son souffle et décida de se lever. Elle retint une plainte en s'asseyant. Etait-ce bien son corps qui jadis avait dansé? Est-ce que les autres femmes dans les chambres voisines ressentaient cela aussi? Parvenaient-elles à oublier la lourdeur de leur corps?
Elle gagna la porte à pas feutrés et sortit dans le couloir. Elle ne voulut pas appuyer sur l'interrupteur et déclencher les néons. Elle préférait avancer à la lueur feutrée des veilleuses. Là, les plafonds étaient aussi hauts que dans les chambres. Pourquoi était-ce si oppressant? Etait-ce tout cet espace vide qui pesait sur ses épaules? Etait-ce cela qui lui donnait l'impression d'étouffer?
Elle passa devant la nurserie, perçut des chuchotements. Plus loin, le vieil ascenseur de fer attendait la venue du jour, vide et inutile. Elle prit l'escalier pour atteindre le rez-de-chaussée. Se pouvait-il que des enfants viennent au monde à quelques mètres de là sans qu'aucun cri, aucun pleur ne lui parvienne? Etait-elle dans le seul endroit au monde où le silence l'emporte sur le bruit?
Elle vit à sa droite la petite porte des urgences par laquelle elle était arrivée deux jours plus tôt portant l'espoir que les choses iraient vite. Mais la douleur avait duré des heures, nichée quelque part dans son corps d'où elle s'était épanouit en bouquets. Elle avait éclos dans son ventre comme des fleurs: d'abord une petite fleur puis une autre, plus grande, au coeur de la première. Elle avait pensé aux feux d'artifice et à leurs corolles successives. Elle avait compté, soufflé, respiré. Et une tout petite fille était née, créant tout autour d'elle un monde demesuré.
Se rappelant soudain que la petite dormait seule un étage plus haut, elle remonta l'escalier. Cet effort, infime, suffit pourtant à l'essouffler. Elle se maudit en silence d'être aussi amoindrie, resta quelques secondes arrêtée en haut des marches et reprit son chemin. A quelques pas de la porte, l'obscurité lui parut plus intense et le silence plus lourd. Elle avait de plus en plus de mal à reprendre sa respiration. La lueur des veilleuses lui semblait plus faible et elle ne dissernait plus l'entrée de la chambre. Elle scruta la nuit, se demandant si elle ne s'était pas égarée. C'est alors qu'elle vit l'ombre dressée devant elle et qui se détachait sur la nuit, à peine plus noire que l'obscurité. Elle se sentit soulevée de terre, enlacée par des bras d'acier. Alors la forme se pencha sur elle, fixa sur son visage des yeux noirs et béants et lui dit d'une voix qu'elle ne fut jamais tout à fait sûre d'avoir entendue:

"N'oublie pas comment tout cela finira. Aujourd'hui, tu marques un point en donnant la vie mais un jour je reviendrai et je prendrai la tienne. Regarde moi bien: c'est moi qui happerai ton dernier souffle".

...Lorsqu'elle s'éveilla le lendemain matin, elle ne remarqua même pas qu'elle respirait librement. Elle se dit seulement que la petite avait vraiment bien dormi.

Rédigé par Marie Alster

Publié dans #Ecritures

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